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Cheveux afro : une formation qualifiante en chantier

Le salon

Description

Le secteur de la coiffure afro française traverse une période charnière marquée par une prise de conscience collective de ses lacunes structurelles. Alors qu’un groupe d’experts de l’Union nationale des entreprises de la coiffure (Unec) travaille à créer une formation qualifiante spécialisée dans les cheveux bouclés, frisés et crépus, des initiatives privées émergent pour combler un vide béant dans la formation professionnelle. Cette mobilisation révèle l’urgence de structurer un secteur longtemps laissé en marge du système éducatif traditionnel.

Des pionnières face aux résistances du système

L’audace entrepreneuriale de Gisèle Mergey

Dans les locaux en travaux de la Body Academy Paris, au troisième étage du centre commercial de Noisy-le-Grand, Gisèle Mergey incarne cette nouvelle génération d’entrepreneures déterminées à transformer le paysage éducatif de la coiffure. Cette « consommatrice exigeante », comme elle se définit, porte un projet ambitieux : former des coiffeurs capables de maîtriser « le même niveau de connaissance et de compétence sur le cheveu européen que sur le cheveu crépu. »

Son approche novatrice propose un CAP coiffure doté d’une double compétence, concept révolutionnaire dans un système éducatif traditionnellement compartimenté. Cette vision inclusive reconnaît enfin la nécessité d’une formation globale qui reflète la diversité capillaire de la société française contemporaine.

Les obstacles financiers révélateurs

L’accueil réservé au projet de Gisèle Mergey par les institutions financières illustre parfaitement les résistances structurelles auxquelles se heurtent ces initiatives. Les banques ont jugé son concept « trop innovant », révélant une frilosité institutionnelle face aux évolutions sociétales pourtant évidentes. Cette réticence financière témoigne d’une méconnaissance profonde des enjeux économiques du secteur de la coiffure afro.

Francis Olilo, directeur de l’école Olilor Coiffure à Noisy-le-Sec, fait face aux mêmes difficultés avec les subventions publiques qui « se font attendre. » Il exprime cette frustration institutionnelle : « Quand nous faisons une demande, on fait peur. C’est comme un grand saut dans l’inconnu. » Cette perception révèle un décalage entre les besoins réels du marché et la vision administrative traditionnelle.

L’état des lieux d’un secteur en déshérence

Une formation initiale inadaptée aux réalités du marché

La formation française des coiffeurs demeure centrée sur les spécificités des cheveux caucasiens, négligeant une partie significative de la population. Alexis Rosso, coiffeur-ambassadeur Mizani, souligne cette lacune structurelle : « Depuis dix ans, il existe une option défrisage mais elle n’a rien d’obligatoire. » Cette marginalisation éducative crée un système à deux vitesses qui pénalise autant les professionnels que leur clientèle.

Cette inadéquation formative génère des conséquences dramatiques sur la qualité des prestations et la sécurité des clients. L’absence de bases techniques solides expose les consommateurs à des risques sanitaires évitables et freine le développement économique du secteur.

Les dérives d’un apprentissage anarchique

Dans les salons afro, l’apprentissage sur le tas devient la norme par défaut, avec des résultats variables selon la compétence du « maître » formateur. Cette transmission artisanale, si elle peut préserver certains savoir-faire, manque de la rigueur pédagogique nécessaire à une professionnalisation durable.

L’absence de réglementation permet même à des personnes non diplômées d’exercer, ouvrant la voie à des exploitations dans des conditions sanitaires discutables. Ces pratiques dégradent l’image du secteur et compromettent la sécurité des clients, créant un cercle vicieux qui freine la reconnaissance professionnelle légitime de cette spécialité.

La mobilisation institutionnelle en marche

Un groupe de travail pour structurer la profession

Face à cette situation préoccupante, la mobilisation s’organise au niveau institutionnel. Sous l’égide de l’Unec et du ministère de l’Éducation nationale, un groupe de professionnels travaille à donner un cadre réglementaire cohérent à cette spécialité. Cette démarche collaborative marque une reconnaissance officielle des spécificités techniques des cheveux texturés.

Le projet prévoit une publication détaillée accessible dès septembre, documentant chaque technique et les effets des produits chimiques spécifiques. Cette codification représente une étape cruciale vers la normalisation des pratiques et l’amélioration de la sécurité des prestations.

Les perspectives d’évolution à moyen terme

Aude Livoreil-Djambou, fondatrice du Studio Anaé et membre du groupe de travail, se montre optimiste quant aux évolutions futures : « D’ici cinq ans, il y aura une vraie spécialisation sur les cheveux bouclés, frisés et crépus en France. » Cette projection témoigne d’une volonté de transformation structurelle qui dépasse les initiatives isolées.

Cette perspective d’institutionnalisation s’accompagne d’une réflexion plus large sur les enjeux de diversité et d’inclusion dans les formations professionnelles. Le secteur de la coiffure pourrait ainsi devenir un laboratoire d’expérimentation pour d’autres domaines confrontés aux mêmes défis.

Le rôle ambigu des marques dans la formation

Entre transmission de savoir et stratégie commerciale

En l’absence de formation institutionnelle adaptée, les marques spécialisées (Niwel, Brasilhair, Mizani) ont comblé le vide éducatif par leurs master class. Ces formations privées transmettent effectivement des savoir-faire techniques tout en développant un réseau de partenaires commerciaux fidélisés.

Cette situation génère une dépendance problématique où la formation technique se mélange aux objectifs commerciaux. Les coiffeurs formés selon cette approche risquent de privilégier les produits de leurs « formateurs » plutôt que de développer une expertise indépendante.

Vers une pédagogie plus désintéressée

Aude Livoreil-Djambou identifie clairement cette problématique : « Un coiffeur est un expert du cheveu, pas un vendeur de produits. » Cette distinction fondamentale souligne la nécessité de séparer formation technique et promotion commerciale pour préserver l’indépendance professionnelle des praticiens.

La solution proposée consiste à s’appuyer sur de grands noms de la coiffure afro reconnus pour leur expertise plutôt que pour leur affiliation commerciale. Cette approche privilégie la transmission de l’excellence technique sur les considérations mercantiles.

L’émergence d’une nouvelle génération de formateurs

Des références techniques au service de l’éducation

L’annonce de deux nouvelles formations parisiennes en novembre illustre cette évolution vers une pédagogie d’excellence. Christelle Clairicia, Hairy Taj et Alexis Rosso interviendront à l’École de Paris, tandis que Gilles Boldron officiera au Studio Anaé. Cette mobilisation des talents reconnus garantit une transmission de haut niveau.

Cette approche par les « maîtres » de la profession assure une légitimité technique incontestable tout en préservant les spécificités artistiques de chaque intervenant. La diversité des approches enrichit l’offre pédagogique et permet aux apprenants de développer leur propre style.

La garantie du talent comme critère de sélection

Le choix de formateurs reconnus pour leur excellence technique plutôt que pour leur capacité commerciale marque une rupture salutaire avec les pratiques antérieures. Cette sélection qualitative élève le niveau d’exigence et contribue à la reconnaissance professionnelle du secteur.

Cette démarche méritocratique pourrait inspirer d’autres domaines de spécialisation confrontés aux mêmes défis de structuration pédagogique. L’exemple de la coiffure afro démontre qu’une professionnalisation réussie passe par la reconnaissance et la valorisation des expertises authentiques.

Les enjeux d’une reconnaissance tardive mais nécessaire

Réparer une négligence historique

La mobilisation actuelle pour structurer la formation en coiffure afro révèle l’ampleur de la négligence institutionnelle passée. Cette prise de conscience tardive impose une rattrapage accéléré pour combler des décennies de retard éducatif et réglementaire.

L’urgence de cette structuration dépasse les considérations purement techniques pour toucher aux questions d’égalité des chances et de reconnaissance des diversités culturelles. Le secteur de la coiffure devient ainsi un révélateur des mutations sociétales en cours.

Vers une excellence reconnue et valorisée

L’objectif de ces initiatives ne se limite pas à combler des lacunes mais vise l’établissement d’une excellence technique reconnue au niveau national et international. Cette ambition légitime positionne la coiffure afro française comme un savoir-faire d’exportation potentiel.

La professionnalisation en cours pourrait transformer un secteur longtemps marginalisé en vitrine de l’expertise française en matière de diversité capillaire. Cette évolution contribuerait au rayonnement culturel et économique de la France dans un domaine où elle possède des atouts considérables grâce à sa population multiculturelle.

La structuration de la formation en coiffure afro représente bien plus qu’un simple ajustement éducatif : c’est la reconnaissance officielle d’une expertise longtemps ignorée et la promesse d’une excellence technique enfin à la hauteur des attentes d’une société diversifiée. Cette transformation nécessaire ouvre la voie à une nouvelle ère de professionnalisme qui bénéficiera à l’ensemble de l’écosystème beauté français.

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